dimanche 21 mai 2017

PROSERIES, chapitre 114

peinture Pierre Aleschinski



114

Quand je lui parle, ce n’est pas pour dire ce que je pense, je ne parle que pour dire, et c’est même, comment dire, c’est même à peu près le contraire de ce que je pense, et quand je parle tout seul, ce que je fais presque tout le temps, c’est comme pour lui dire des choses que je pense, mais elle n’est jamais là pour m’écouter, et si elle était là, je ne dirais rien de ce que je pense, parce que le plus souvent quand je pense, c’est à elle que je pense, et ça me donne envie de lui dire ce que je pense, mais si elle était là, elle ne voudrait pas entendre ça, alors je ne cherche pas à la voir pour lui parler, car elle me parlerait de choses qui m’empêcheraient de dire ce que je pense, elle mettrait un vernis de mots sur l’immense silence où je suis, ses paroles subvertiraient le vide au fond duquel je suis tombé, le gouffre où résonnent en vain les mots que j’aimerais faire remonter à la surface, pour les lui faire savoir, mots qui lui parleraient de moi, alors qu’elle ne veut surtout rien savoir de moi, rien de décisif, rien de vital, c’est traumatisant, comme cela pousse de mon côté, et comme cela repousse du sien, une sorte d’escrime absurde, quand nous parlons ensemble, il n’y a aucun ensemble, les mots ne veulent plus rien dire, parler n’est qu’un exercice de phonétique abstraite, je suis tout taiseux & noireux, et vais le rester, les tourterelles sur la colline font leur hou-hou, encore & encore, lancinamment.


PROSERIES
chapitre 114
Le Murmure du mnde, vol. VII
inédit





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