dimanche 15 janvier 2017

pensais-je - PROSERIES, chapitre 100

peinture Antonio Saura



chapitre 100




Je dois utiliser ma tête, pensais-je, aussi longtemps que je l’ai, puisque, pensais-je, ça ne peut que se gâter, et bientôt je n’aurai plus assez de tête, pensais-je, pour développer des pensées à propos de ma tête, maintenant il me reste assez de tête, pensais-je, pour thématiser la dégénérescence de ma tête, et arrivera sans doute bientôt le jour où je serai encore capable de formuler le mot tête mais sans me rendre compte que c’est de ma tête qu’il est question, je dirai tête en n’étant plus en mesure de parler de ma tête, je dirai tête sans avoir ma tête, et je dirai queue, et encore d’autres mots indécents sans me rendre compte combien ils sont indécents, j’émettrai les phonèmes bite & con, jouissant en catimini de les émettre, et je les répéterai, compulsivement, ô bite où ai-je ma tête, ô tête où ai-je ma bite, et on me dira de me taire, such a dirty old fool, ils ne se souviennent pas du temps où j’avais ma tête, j’avais une tête si active, toute pleine de mots, des hirondelles et des roseaux et des vallons et des rivières, je dois tester ma tête, pensais-je, examiner si les mots ont encore leur sens, et j’exulte quand passe l’hirondelle, quand coule la rivière, et je fredonne allègrement que je ne suis pas encore décapité.


PROSERIES
chapitre 100
inédit





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