vendredi 30 décembre 2016

le tu de ma vie...

peinture Joan Miro



tant de zizanie dans les pronoms
quand je dis je c’est à peine moi

quand je dis nous ce n’est pas nous
mais des milliards d’énergumènes

quand je dis elle c’est n’importe
quelle Juliette ou Gabrielle

tant de pronoms dans ma vie, mais
tu es à jamais le tu de ma vie

yes, the one who killed me



NOUVEAUX NEUVAINS
vol. 5
inédit



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les mots, tous les mots...

peinture Joan Miro



les mots, tous les mots
ne sont que mots d’autrui

utiliser les mots, c’est les user
vider épuiser abolir

formuler des phrases pour aller
au-delà du langage

écrire : propulsé sans cesse
par le besoin de dire

ce qui ne se dit pas




NOUVEAUX NEUVAINS
vol. 5
inédit




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mardi 27 décembre 2016

poème raté

peinture Joan Miro





le poème de la bague touareg
sorte d’histoire d’amour qui me hante

pas pu l’écrire pas su tout biffé
ne reste que le mot touareg

écrire quelque chose de triste
sans mettre des mots tristes

ne reste que le mot touareg
poème raté qui ne trouve pas

la chute du dernier vers



NOUVEAUX NEUVAINS
vol. 5
inédit




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moment

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aujourd’hui dans ce pays
je suis peut-être le seul

ce soir sur ce continent
je suis sans doute le seul

je suis sûrement le seul
sur terre en ce moment

à lire dans un recueil
de Wisława Szymborska

le poème intitulé « Moment »





NOUVEAUX NEUVAINS
vol. 5

inédit




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lundi 26 décembre 2016

silly & sad

peinture Paul Klee




my tailor is rich
and so is my solitude:

a thought I just had, silly & sad
while I put on this white shirt

bought low price at Hema’s
a whiteness I wear to be smart

and I walk along the beach
in my white shirt and don’t mind

if all the seagulls are laughing at me



NOUVEAUX NEUVAINS
vol. 5
inédit



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plus rien d'autre... / nicht noch etwas...

peinture Paul Klee



wenn du die Sonne spürst, wie sie
dich berührt mit ihrer Wärme

dann brauchst du nicht noch etwas
dann hast du alles: das Leben

und da sind dann auch noch die Vögel
die zwitschern im Gesträuch

ein reines Geschenk, pure Zugabe
und der Daturabaum voller Blumen

kannst jetzt gehen, hast alles gehabt


*



quand tu sens ainsi le soleil
te toucher de son chaud

il ne te faut plus rien d’autre
tu as tout  tu as la vie

et puis voilà encore le gazoullis
des oiseaux dans les arbustes

c’est cadeau, un pur bonus
et l’arbre aux daturas qui fleurit

tu peux t’en aller  t’as fait ton plein




NOUVEAUX NEUVAINS
vol. 5
inédit




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dimanche 25 décembre 2016

culte de la mort

graphisme Kjpargeter




culte de la mort, du meurtre, du suicide
inculqué à des gamins par des prédicateurs

qui puisent leur énergie destructrice
dans des paroles dites révélées

l’injonction de tourmenter et de tuer
inspirée par une misérable divine miséricorde

un gamin peut arracher les pattes à une mouche
mais pour l’amener à la cruauté du meurtre

il faut la conviction religieuse



NOUVEAUX NEUVAINS
vol. 5
inédit



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sucrer l'amertume

photo L. Sch. 24/12/2016




devant la tartine à marmelade
soudain la pensée du gouffre

dans le tout paisible matin
soudain le vertige du néant

vertige qui guette à chaque instant
mais on fait l’effort d’exister

parfois on se distrait candidement
mettant marmelade sur une tartine

sucrer un peu l’amer du destin



  

NOUVEAUX NEUVAINS
vol. 5




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samedi 24 décembre 2016

grand vent

peinture Paul Klee




grand vent dans les peupliers
cela vient du fond des millénaires

rameute on ne sait quel message
qui contamine le mutisme de l’univers

mais pour marquer mon aire sur terre
il me faut d’autres rumeurs

ce matin je convoque un arioso de Haendel
pour soprano & cordes qui impose

impérieusement silence au grand vent


pour Jacques-Henri Michot




NOUVEAUX NEUVAINS
vol. 5
inédit



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vendredi 23 décembre 2016

si tu savais...

peinture Léon Spillaert



Le journal de celui qui, jour après jour, écrivait à la fin de sa quotidienne inscription : heute trocken, il avait arrêté de boire, comme Coleridge en 1803, ce journal-là, je n’ai pas à l’écrire, « Gebete in die Gottesferne », j’écris autre chose, j’écris des lettres d’amour qui ne sont pas des lettres d’amour, j’écris : si tu savais…, tu ne sauras jamais…, le journal de celui qui jour après jour, observait le ciel, le passage des nuages, et notait scrupuleusement ce qu’il voyait, à grand renfort de lexique & de syntaxe, je pourrais écrire, comme Hopkins, jour après jour, mes observations du ciel, mais j’écris autre chose, j’écris jour après jour des lettres d’amour qui n’en sont pas, j’écris : si tu savais…, tu ne sauras jamais…, je pourrais écrire un journal rempli de lettres d’amour qui n’en sont pas, mais j’écris autre chose, je n’écris pas de journal, je pourrais écrire que je suis paralysé & contaminé, mais je ne suis pas contaminé ni paralysé, je me saoule avec le whisky le plus cher du marché, heute nicht trocken, je compte les nuages, aujourd’hui cent dix-neuf, je colorie des bilboquets, plie des feuillets en forme de barque et de goéland, je profère presque sans voix des bribes de phrase, genre si tu savais…, je ne prends aucune résolution d’arrêter de boire, demande à mes bilboquets bariolés de m’inspirer de mélancoliques lettres d’amour qui n’en sont pas, et mes lettres je les plie et en fais des petites barques qui caracolent au gré les rigoles.



PROSERIES
chapitre 97
inédit



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