mardi 18 août 2015

mille contraires façons de vie...

Soulages, Lithographie XXIX, 1972


chapitre XIII
  
1.
Les sermons sur l’assomption de la Vierge, ces jours-ci, un charabia aussi creux que délirant. Marie a eu la foi et est montée au ciel et nous devons l’invoquer pour lui demander assistance : avoir comme elle la foi afin d’accéder comme elle au ciel, à la droite du Seigneur.

2.
MONTAIGNE MODERNISÉ Le professeur André Lanly publie (1989 et 2002) l’intégralité des « Essais » chez Champion dans une adaptation en français moderne, repris par Quarto/Gallimard en 2009. Je viens d’ouvrir le volume : c’est illisible, je veux dire, ce qu’on lit, ce n’est pas du Montaigne.
Cette soi-disant adaptation altère du tout au tout l’inconfondable écriture du génial Gascon, lamine le ton, perturbe le rythme, escamote le lexique, fluidifie inutilement la syntaxe, cela neutralise et lénifie, bref, enlève à Montaigne ce qui fait Montaigne.
Un exemple : dans I. XXXVII, un passage où l’auteur est en train de réfléchir qu’il faut se retenir de juger autrui d’après ce qu’on est, il est écrit : et je crois et conçois mille contraires façons de vie cela devient dans l’adaptation : et je conçois et crois (A) [bonnes] (B) mille manières (C) de vivre opposées (D) .
(A)  pourquoi intervertir les deux verbes ?
(B)  pourquoi cette parenthèse incongrue ?
(C)  en quoi manière serait-ce plus compréhensible que façon ?
(D) en quoi opposé serait-ce plus clair que contraire ?

3.
Lire Shakespeare en simplified Reader’s Digest, ou Goethe en version Assimil.

4.
Tout dans la religion, presque tout dans les trois monothéismes me rebute m’écœure m’indispose me contrarie, et ma répulsion avec le temps ne cesse de s’accroître. Ce que je peux récupérer dans les Évangiles tient en une demi-page ; dans les Épîtres, deux lignes.

La religion chrétienne, la mienne, celle de mon enfance, celle de ma culture, je la trouve repoussante mais n’arrête de l’étudier, à travers les siècles, depuis le tout début. Je veux comprendre.
Comprendre, continuer à comprendre en quoi consiste ce concept tout à fait opaque de ce qu’on appelle la foi je ne l’ai jamais compris et continue à ne pas comprendre.

Comprendre et interpréter les textes sacrés, les analyser et analyser ceux qui les interprètent étudier autant les versets de la Bible que les traités des exégètes. Vaste réseau dans lequel s’activent saint Paul, Tertullien, Augustin, Averroès, Thomas d’Aquin, Bonaventure, Bossuet, Fénelon, Pascal et, plus loin, Nietzsche, Schweitzer, Bultmann, Küng, Drewermann, Sölle, et jusqu’aux écrivains : Mauriac, Greene, Bernanos, Böll, Rinser, etc.

Et dans tout cela une place spéciale pour le lecteur-interprète de la Bible qu’est Erri de Luca.

5.
Nos prêtres, curés & vicaires, je m’en souviens, soutanés de noir, consacraient leur vie à Dieu et à l’Église, et baptisent marient enterrent, et prêchent bénissent confessent, et convertissent admonestent punissent, et se masturbent dans la tristesse et le remords, vies inutiles.

6.
Le jeune Aurélien, ragazzo de banlieue, est couché nu sur le dos, jambes relevées, et le moins jeune Caligula, centurion de faubourg, s’affaire sur lui et dans lui et ne s’intéresse à aucun moment à la bite toute molle de son amant, et s’il la touche, c’est juste pour la soulever parce que les couilles cachent la vue sur l’endroit où ça se passe.

7.
Aux États-Unis, si tu voles deux cigares ou trois cannettes de bière, tu es arrêté, menotté, parfois battu, parfois à mort, surtout si tu n’as pas la bonne (non-)couleur de peau, mais si tu es télévangéliste (Robert Tilton, Mike Murdock, Kenneth & Gloria Copeland, Todd Croontz, Harry Fernandez, etc.) et que tu soutires avec de bigotes et suggestives tournures des millions des millions de dollars à des millions et des millions de croyants crédules, auxquels tu promets, personnellement, le salut de l’âme, personne ne t’inquiète, et l’office des impôts te concède l’exemption, puisque tu es le chef d’une Église, c’est sacré. Fuck religion.

8.
Caton d’Utique (95-46 av. J.C.), rigide stoïcien, Montaigne l’admirait beaucoup au début de ses travaux sur les « Essais », mais avec les années cette admiration baisse, Montaigne s’éloigne du stoïcisme (sans jamais toutefois s’éloigner de son cher Sénèque), par goût de l’épicurisme, qui n’a rien de rigide, et à partir de 1580, l’austère Caton n’est plus guère mentionné, et même à plusieurs reprises critiqué. Que philosopher, c’est apprendre à mourir, oui, mais à mesure que Montaigne avance dans son livre, il nous invite à jouir de la vie sans trop cogiter.

9.
Blaise Cendrars , l’errant des bibliothèques, emportait ses livres dans tous ses voyages, pendant des années, dix caisses immenses et immensément lourdes, puis un jour, fauché, il ne pouvait pas payer le port de Saint-Pétersbourg à Anvers, et ses livres furent vendus un à un, par un escroc russe nommé Korsakov.

10.
Dans les « Essais » Montaigne ne se réfère ni aux Évangiles ni à saint Paul, sa pensée n’a rien de religieux, ses auteurs tutélaires appartiennent tous à la païenne culture antique.

Quand il lui arrive de citer la Bible, c’est souvent le livre pessimiste & désabusé de Qohelet, un texte tout à fait non religieux fourvoyé dans le corpus des textes sacrés à la faveur de quelques ajouts pieux introduits frauduleusement par un scribe tardif.


Et quand il mentionne Dieu, c’est d’Apollon qu’il parle, ce dieu protecteur de santé et de sagesse. L’ensemble des « Essais » se termine sur une solennelle invocation du mythique & soleilleux dieu païen.

LA LIASSE DES DIX MILLE FRAGMENTS
chap. XIII

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