samedi 3 janvier 2015

Le roi ne sait pas s'il est le roi





Il y a pourtant du sérieux au fond de la farce, pourvu qu’on ne se laisse pas perturber par l’impassibilité du paysage qui n’a aucun sens du paradoxe, qui ne pense qu’à faire vallonner ses collines, aligner ses pieds de vigne, et un ciel capricieux qui change sa charge de nuages tous les quarts d’heure, alternant sérénité et tragédie, les personnages du jeu en sont réduits à se fier à leur seul sens de l’improvisation, il n’y a aucun scénario, le boulot du scénariste a été interrompu par une crise cardiaque, le roi ne sait pas s’il est le roi, le brigand ne sait pas s’il est le brigand, les comparses ne savent pas qui d’entre eux sera peut-être soudain la vedette, on finira bien par enchaîner les péripéties qui se mettront en rang pour fignoler à leur guise une plausible romance, c’est entendu que le montage sera décisif, le brigand, dans la vie, est l’amant de la fille du roi, il dit : ma princesse, à aucun moment ils ne se sentent portés par le paysage, comme si le paysage ne permettait pas le déploiement de la farce prévue, aucun compromis ne semble possible, le metteur en scène, court-circuitant le brigand courtise la princesse, qui après quelques hésitations finit par capituler, le metteur en scène la saute vite fait derrière un paravent, subtile allusion à un roman de Voltaire, le paysage est toujours occupé à aligner ses pieds de vigne, l’histoire, faute de scénario ne sera jamais racontée, trois jours plus tard la troupe se réunit une dernière fois devant la tombe du scénariste.

"Kafka à la Fenice", improbables péripéties - chapitre 54
inédit

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