mercredi 24 septembre 2014

inaudible chuchotis...

dessin de Ekşioğlu Gürbüz Doğan



pour peu qu’on fasse en soi un peu le vide, et remonteraient tant d’images visions souvenirs, encapsulés dans des milliards d’alvéoles, c’est de la chimie, de la physiologie, de l’électricité, de la mécanique, enfin, je m’exprime comme je peux, je ne suis pas savant, et puis les savants ne savent pas ce que je sais, je dis des choses que ne dirait jamais un savant, l’homme de science est scrutateur & scrupuleux, il pèse & mesure, je ne suis que le dilettante chroniqueur de mes obsessions, j’assume d’être myope, manchot & paralytique, j’assume mes louvoiements de piroguier sur l’Orénoque, j’assume mes lallations aussi narcissiques que pré-posthumes, et Gabrielle, lucide sur son métier, me dit : je vends du vent, ça m’a plu, puis passe juste sous la couche des cirrus un fragile avion jaune qui pétarade en traînant un calicot la terre est bleue comme une orange, quand ils eurent découvert le potassium pour engraisser les champs de maïs ils abandonnèrent les processions à litanies d’imploration, et les prêtres se claquemurent derrière les rideaux violets du confessionnal et essayent vainement d’échapper aux obscènes visions qui leur encombrent la soutane, au petit matin je résolus de faire des sortes de bilans de lucidité sur toutes ces décennies où j’ai vécu, déclarai qu’il faudrait établir des catalogues avec les milliards d’images-souvenirs, enfin, je veux dire : tout ce qui sera définitivement abîmé quand je serai définitivement abîmé, ce qui ne saurait tarder, le chemin de Samarkand, le chemin de Manosque, le chemin de Tikal, et tant d’autres chemins à répertorier, milliers de chemins, strade bianche & dust roads, à travers une réelle Toscane, à travers un réel Western Cape, et la rhapsodie des courants maritimes, et les hurlements des glaciers raclant le granit, les Chinois appelaient leurs empereurs Fils du Ciel, émouvants fils de pute, et certains nuages dans le crépuscule sont des dragons, derrière chaque arbuste guette un fantôme, il faut égorger les fantômes par des contre-cauchemars, les chemins s’ensablent, les pirogues chavirent, les pyramides s’effritent, d’un crayon jaune citron je souligne une strophe qui me frappe, ta main recueille / insoumise et pure / cent carillons de givre / dont je me vêts, le chemin de Buonconvento, le chemin de Torremolinos, le chemin de Chasteuil, chaque chemin a son alvéole, chaque image sa capsule, puis pour des siècles & des millénaires ça se fossilise, chemins, chimie, inaudible chuchotis


Inévitables bifurcations
chapitre 58
inédit

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