samedi 28 septembre 2013

LETTRE OUVERTE à l'ambassadeur de Russie

Nadejda Tolokonnikova





LETTRE OUVERTE
à l’ambassadeur de Russie

Votre Excellence, c’est la deuxième fois dans ma vie que j’ai le déplaisir d’avoir à écrire une lettre ouverte à un ambassadeur russe.

La première fois, c’était en 1981, à un de vos prédécesseurs, à propos d’Anatoly Marchenko, Pour avoir écrit un livre sur les camps de travail et les prisons soviétiques, Marchenko venait d’être condamné à 10 ans de colonie de travail à régime sévère et 5 ans d’exil. Auparavant, Marchenko avait déjà vécu plus de 13 ans de prison et d’exil : d’où son livre.

Dans ma lettre, me référant à Tchékhov et son combat pour la dignité et la liberté à propos du bagne de Sakhaline, je demandais à votre prédécesseur d’intervenir auprès des autorités soviétiques afin de faire libérer immédiatement Marchenko, qui avait été injustement condamné pour délit d’opinion dans un procès injuste et obscène.

A la fin de ma lettre j’avais écrit à votre prédécesseur : « Si jamais vous m’invitez à dîner, voici le menu que je souhaite : une jatte de soupe au chou avec quelques grammes de graisse. Je vous demanderai de la partager avec moi, et coude à coude, Votre Excellence, nous parlerons d’Anatoly Marchenko, jusqu’au petit matin… »

Marchenko meurt cinq ans plus tard, à 48 ans, dans la prison de Tchistopol, des suites d’une grève de la faim.

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C’est d’une autre grève de la faim, votre Excellence, dont je viens vous parler aujourd’hui : celle que la citoyenne russe Nadezhda Tolokonnikova vient de commencer ce 23 septembre.

Elle aussi, dans un procès injuste et obscène a été condamnée pour délit d’opinion. Elle fait partie du groupe de chanteuses Pussy Riot qui dans une église ont entonné une chanson hostile à Vladimir Poutine, ancien agent du KGB et, dit-on, fervent croyant orthodoxe.

Elle a été condamnée à deux ans de camp de travail. Après plus d’une année, elle n’en peut plus – et dans une Lettre ouverte d’une dizaine de pages, elle explique pourquoi.

A lire ce document, on reste sans voix. Sauf qu’on a envie de crier !

Et heureusement, ces jours-ci, ce texte commence à circuler, dans la presse et de façon exponentielle sur les réseaux sociaux.

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Nadezhda Tolokonnikova décrit les conditions dans un camp de travail dans la Russie d’aujourd’hui, en l’occurrence la colonie pénitentiaire № 14 en Mordovie – cette Russie que vous, Excellence,  représentez au Grand-Duché du Luxembourg.

Au camp elle est reçue par le chef, le lieutenant-colonel Kupriyanov qui déclare : « Concernant la politique vous devez savoir que je suis staliniste. »

A longueur de pages elle décrit les conditions de détention, les quotidiennes vexations, le sadisme, les chantages, les délations, les humiliations (interdiction de se laver ou d’aller aux toilettes, contrainte de travailler nues, etc. etc.), punitions collectives, passages à tabac.

Elle travaille dans un atelier de couture où sont fabriquées des uniformes : les quotas sont tels qu’une journée de travail dure de seize à dix-sept heures, de 7’30 à 0’30 h. Une journée de repos une fois toutes les six semaines.

Temps de sommeil par nuit : quatre heures. C’est exactement le nombre d’heures que Varlam Chalamov indique pour les camps de la mort du Goulag dans son livre terrifiant « Récits de la Kolyma ».

L’esclavage à la Staline continue sous Poutine…

Aurez-vous les nerfs, Monsieur l’Ambassadeur, d’attendre impassiblement, que (comme Anatoly Marchenko) cette jeune femme meure des suites de sa grève de la faim ?

Lambert Schlechter