jeudi 31 mai 2012

je te veux...

Constantin Brancusi



que viennent tes paumes se poser
et tes doigts me le prendre

tes cheveux balayer ma poitrine
tes seins se presser sur mon cœur

que vienne ton regard
se perdre dans mes yeux

tes bras m'étreindre
ton ventre contre le mien

ich liebe dich te quiero je te veux



mercredi 30 mai 2012

visite chez Sénèque...






visite tôt le matin chez Sénèque vieillissant
je le trouve penché sur son feuillet, pensif

"de quelque côté que je me tourne,
ce que je vois me convainc de ma vieillesse..." (*)

et il réfléchit et raisonne et se résigne
se bat contre l'angoisse, s'exerce à la sérénité

je reste en sa compagnie quelques instants,
sa mélancolie n'arrive pas à me contaminer

 deux mésanges devant moi cabriolent gracieusement


(*) Lettres à Lucilius, I, 12    

une déplaisante histoire...

(artiste non identifié)

lectures bibliques


L'histoire d'un époux qui prostitue sa femme

Un homme était en voyage avec sa femme et devait se rendre dans un pays dont le roi était très puissant et très friand de belles femmes.

Avant de franchir la frontière, le voyageur dit à son épouse: "Tu es si belle, mon amour, si le roi apprend ta présence dans son royaume, il demandera sûrement à te voir, et il est certain qu'il me fera assassiner pour s'emparer de toi. Dans ces conditions, il vaut mieux que je te fasse passer pour ma sœur, ainsi je serai épargné."

Quand ils eurent dépassé la frontière, les agents du roi eurent tôt fait de repérer cette belle femme et d'aller en faire l'éloge à leur souverain.

Celui-ci, aussitôt, fit venir la femme, la trouva à son goût, la viola et couvrit son soi-disant frère de multiples cadeaux.

Cela dura un certain temps, le roi viola la femme encore et encore - puis cela se gâta, parce que le Dieu du voyageur fit tomber plein de malheurs sur le roi et sa famille.

Le roi fit faire une enquête et ainsi apprit la supercherie. Il fit venir le voyageur et lui dit: "Pourquoi m'as-tu caché qu'elle était ta femme? Reprends-la et fous le camp!"

*

Voilà une histoire qui me déplaît beaucoup, parce que, contrairement à des récits semblables dans le "Décamerone", dans Homère ou dans "Mille et une nuits", ici, la bêtise, la lâcheté et la méchanceté ne sont pas punies à la fin.

Cette déplaisante histoire est racontée dans la Bible, le lamentable personnage du voyageur, c'est Abraham, le patriarche que les trois grandes religions monothéistes revendiquent comme leur père fondateur --- et l'auteur de l'histoire, à ce qu'on nous dit, c'est Dieu lui-même, piètre écrivain.

 
Genèse, XII, 10-20

mardi 29 mai 2012

terra trema




ici, ça ne tremble pas
le sol est solide, la maison est debout

là-bas ça tremble, terra trema
le sol bouge, les maisons tombent

par le hasard de la géographie
je vis dans une province sans séismes

sur mon solide sol, dans mon intacte maison
je regarde les images du malheur

 je ne fais rien, je pleure




lundi 28 mai 2012

suffisait qu'il soit là...

tramonto toscano - photo L. Sch.




quinze jours en exil sur la colline
parmi lézards, abeilles et tourterelles

sur la table à portée de main
les Poésies complètes de Montale

mais je n'ai pas ouvert le volume
suffisait qu'il soit là

le silence sur la colline était si grand
que même Montale aurait fait du vacarme

 il a veillé sur moi, Eugenio, nuit & jour



lundi 7 mai 2012

pas un mot...

KLEE - Vor dem Blitz, 1923




sur l’étrangeté absolue de l’existence
sur la stupéfaction de vivre

je n’ai encore rien dit, rien écrit
pas un mot, pas une syllabe

alors que tous les mots du dictionnaire
disent et crient tout cela tout le temps

rien que le mot arbre, le mot nuage
je n’ai pas su m’en servir

je partirai, muet comme avant de naître



dans le vrac des syllabes...

Hélène Tyrtoff - Pivoine, 2011




va sourdre, le poème
sourdement, muettement

confuse lallation avant les mots
désir dans le vrac des syllabes

mots qui disent tes lèvres
ta peau ne sont plus mots

comment entendrais-tu encore
mes mots dans silence dissous

sourdement, muettement



samedi 5 mai 2012

Brahms

dessin: Nicolas Maldague
 pour Lucien et Marc  


BRAHMS
 
transcrit la Chaconne de Bach
pour une seule main, la gauche
l’envoie à Clara, à qui d’autre
elle ne répond pas, elle joue


 dans: LES REPENTIRS DE FROBERGER, éditions La part des anges, 2011  

jeudi 3 mai 2012

éloge de l'inutile...

La Bruyère - par Nicolas de Lagillière



Ma contemplative matinée, je l’ai passée à ça : lire Gide et La Bruyère, et cela est parfaitement inutile, puis écrire sur Gide et La Bruyère, parfaitement inutile, j’ai passé ma matinée à ça, à l’abri dans ma maison, lire et écrire. Et c’est plaisir, sérénité et bonheur. Pourquoi ? Parce que c’est inutile.



mardi 1 mai 2012

Dieu - un conte théologique

Ievgueni Zamiatine - par Boris Kustodiev


  

Dieu

conte théologique

Cela se passe au fin fond d’une très ancienne Russie, dans le misérable logis du vieux cocher Misjumin. C’est le logis aussi de la blatte Senka. Senka est rebelle et comploteuse. Résolument athée, jusqu’au jour où elle découvre Dieu, une révélation, un Dieu immensément grand et menaçant, vêtu d’une chemise en coton rose : le cocher Misjumin ! Et Dieu lui veut du bien à la blatte. Misjumin est fiancé, le mariage est fixé pour après Pâques. La fiancée a exigé que jusque là il achète de nouvelles bottes en caoutchouc, parce que celles qu’il porte sont une honte. Le cocher a tricoté une paire de bas en laine qu’il compte aller vendre au marché pour financer les nouvelles bottes. Au marché il tombe en arrêt devant une cage avec des chardonnerets. Il en oublie les bottes, achète la cage et va aussitôt l’offrir à sa fiancée. Celle-ci, très en colère, le rabroue et le chasse à tout jamais. Il va au troquet, et boit, et boit, puis rentre ivre mort. Au logis, la blatte Senka s’était morfondue à attendre que Dieu revienne. Et Dieu, obnubilé, ne la voyant pas, s’appuie sur la paroi pour ne pas s’effondrer, pose son épaisse paume juste à côté de l’endroit où est accrochée la blatte, qui lâche prise et tombe dans l’abîme, tombe au fond d’une des vieilles bottes. Et Dieu, désormais esseulé, cherche et appelle la blatte et finit par la remonter du fond des abysses. Et la blatte Senka est bouleversée devant la grandeur, la bonté et l’omnipotence de Dieu. Et Dieu renifle et s’essuie le nez avec la manche de sa chemise de coton rose.


 
reproduction / traduction (de l’allemand) / adaptation / contraction du conte « Dieu » (1915) de Ievgueni Zamiatine (1884-1937)